La cerise by Alphonse Boudard

Auteur:Alphonse Boudard [Boudard, Alphonse]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2016-01-11T23:00:00+00:00

*

L'été n'est jamais si beau qu'en prison. Celui-ci battait tous les records. Ciel tendu bleu de juin à octobre. On pouvait se l'admirer du matin au soir, et puis la nuit toutes les étoiles sur le velours sombre à scintiller. Rien que ça, le poète se met en branle, enfourche Pégase, donne de la lyre, s'invente des déesses aux cheveux d'or, vous pleure un lac, deux océans… Je parle du poète tel qu'un vain peuple se l'imagine, pas du néo style atomique qui lui n'œuvre qu'à haute tension, rythme mitrailleuse, slogan-onomatopée, sang et sperme, esprit débrayé, camisole de force ! Nouvelle beauté transcendantale que nous ne sommes pas encore à même d'apprécier… qui éblouira peut-être nos petits-enfants, nos arrières-arrières en 2050. Comme toujours on se demandera, alors, par quelle aberration nous pûmes les laisser se morfondre, nos poètes, se pourrir en cave, se désespérer, s'entrangoisser tandis que… injustice du temps… de tous les temps ! La foule se gave de lamartinades dégénérées pendant que Tzara, Pichette et Arthur Adamov souffrent pour l'Art…

Je lisais ces réflexions amères au fil des lignes d'un paquet de revues d'avant-garde que Nicole m'avait envoyé. Saindoux ronflait. Sa sieste de deux à cinq. Trêve pendant laquelle je pouvais me parfaire un peu la culture. A la longue j'en lisais, lisais des revues, et de toutes sortes, des obscures, des claires, des compactes, classiques ou non… et puis des essais, des romans, des pièces de théâtre, tout ce qui me tombait sous la pogne… des monceaux. Je rattrapais les années perdues à la buissonnière du pavé, aux petits boulots de basse catégorie, les longues soirées à traîner les rues, plutôt qu'à estudier le latin en pauvre mansarde. De force je devenais une espèce de lycéen. Seulement il était presque trop tard. Ces sujets éternels, ces dieux, personnages de fiction ou d'Histoire, tous ces drames, tragédiantes, comédiantes, légendes, mythes de ceci cela, Prométhée, Antigone, Tartuffe, Néron, la fille Elisa et l'adjudant Flick, je les avais connus comme le suspense Hitchcockien, vécus vrai pour ainsi dire, bien avant de les rencontrer dans les livres. Je les voyais même un peu partout autour de moi quotidiennement.

Dans nos égouts de Justice vous rencontrez Caïn à tous les coins de couloir. Il est banal comme Durand à Châtenay-Malabry, Mohamed à Mostaganem, l'ami Fritz à Ludwisburg… Œdipe a mis sa mère au turf, flingue papa au Bar des Sports. Barabas attend son non-lieu. Les satyres, vous les observez par troupeaux, joyeux, moustachus, champêtres… capables de vous violer la petite Chaperon rouge elle-même, se tartiner ensuite la galette de grand-mère pour reprendre des forces ! Nos Casanova, nos Don Juan, on se doute, sont tombés pour proxénétisme ! Saboulés faut voir à la dernière mode, assistés par trois quatre Vénus qui tapinent inlassablement de la Madeleine à l'Opéra. Saint Pierre, tenez, vous renie toujours son meilleur pote au chant des flics. Je ne parle pas de Judas, on le trouve presque dans chaque cellule, mielleux, pédé ou rouleur de mécaniques. Il a tous les visages possibles.

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.